Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce spectacle ?

L’histoire du Village des sourds se passe en Paliouquie, pays imaginaire qui se trouve dans le Nord-Nord Est du monde. Les habitants très proches de la nature ont pour occupation principale de se retrouver tous les soirs dans un immense igloo, au centre du village, pour se raconter des histoires. Les mots sont leurs trésors. Ils ont par exemple 17 synonymes du mot « joyeux ». Ils ne fonctionnent pas avec de l’argent : ils ne savent pas ce que c’est. Un jour, un grand camion noir vient s’installer sur la place du village, un étrange marchand distribue des catalogues dans lequel on trouve des objets étranges : chaudières, couettes en plume, aspirateur à miettes. Comme ils n’ont pas d’argent, le marchand leur propose de payer avec des mots. Une fois qu’ils ont en donné un, ils ne peuvent plus l’utiliser sous peine de châtiment. Peu à peu, comme ils veulent acheter, ils vendent leur langage. Les conversations deviennent surréalistes car il manque des mots et ils n’arrivent plus à communiquer. Ils se mettent à grogner, s’agresser, et cela se termine en guerre civile… « Quand on n’a plus les mots on en vient aux mains » dit Youma.

Youma, qui raconte cette histoire, est une jeune fille de 14 ans. Elle est sourde, elle utilise la langue des signes, grâce à cela elle va sauver le village et redonner aux habitants les mots qu’elle avait gardés précieusement dans ses mains. Elle fait le tour du monde, avec Gurven, qui l’accompagne, qui, lui, est entendant et qui parle français. Ils vont dans toutes les villes du monde pour prévenir les gens que le langage est un trésor, et qu’il faut le cultiver, le protéger.

Comment êtes vous arrivée sur ce projet ?

Léonore Confino et moi, sommes un binôme artistique. J’aime énormément son écriture. On s’est rencontrées en 2011 et on a commencé à travailler très étroitement. C’est notre septième spectacle ensemble. Le texte du Village des sourds est né d’un moment de vie où Léonore très fatiguée après son accouchement, se cantonnait aux mots du quotidien. Elle a commencé alors, à faire des listes de mots qu’elle trouvait beaux et qu’elle n’utilisait pas assez, comme : ectoplasme, nouba, pipistrelle…

Quelles sont les difficultés de cette mise en scène ?

La difficulté qui a été en même temps une force incroyable, était liée à l’audace d’engager une comédienne sourde et un acteur entendant. Ariana-Suelen Rivoire s’exprime en LSF, Jérôme Kircher, en français. Il ne parle pas la langue des signes. Mon pari était de trouver comment ils allaient communiquer sur scène . Au début, au moment des répétitions, il y avait un traducteur en permanence avec moi. Dans la langue des signes, la métaphore n’existe pas vraiment. Il fallait qu’on réussisse à traduire dans les mains d’Ariana-Suelen la poésie du texte. Cela a été un long travail pour aboutir à une forme qui soit compréhensible aux entendants comme aux sourds.

Maintenant, ce qui est puissant, c’est que lorsque Jérôme saute par mégarde, un morceau de texte, par exemple, Ariana-Suelen le sent, elle s’en rend compte, ils se regardent
et ils reprennent .. Ils ont trouvé un canal de communication qui passe par un endroit secret qui les relie. On voit ce lien qui les unit, et qui n’est pas descriptible. Les spectateurs sont fascinés par cette histoire racontée à deux voix. Conte, nous fait rêver et donne à réfléchir…